FENÊTRE
Après quelques années, la peinture blanche du plafond est encrassée (radiateurs, tabac). Les murs sont décorés d’objets minables qui, accumulés sans raison, n’attirent pas le regard. Etre assis, être à table, se coucher, autant de corvées, de fatigues que même le sommeil ne répare plus.
Le sol est usé : les passages, les chutes d’objets, la poussière, les taches, les nettoyages. On met, on retire, on entretient des vêtements qui ne sont ceux de personne. Tout exprime que l’on n’est pas vivant. Une habitation ? Non, un refuge, un coin d’ombre, réduit aux dimensions admises, où l’on est comme un poisson dans son aquarium, dans sa boule de verre tapissée de graviers multicolores, où il tourne cent fois par minute.
On sort du lit, on est glacé par le matin ; on s’approche, nu, voûté, du meuble où on a déposé les vêtements qu’on porte chaque jour. On ne les regarde pas, on est trop pressé d’être dedans, enfermé, réchauffé, prisonnier.
Chaussé, cravaté, vaguement lavé pour les parties de peau qu’on laisse découvertes, on se redresse.
On examine les murs, le plafond, les meubles ; on sent la nullité de tout cela, et on se sait pareil. On n’est plus fait de chair, on n’est qu’une masse douloureuse et lourde qui écrase un vague bâti d’os fragiles. Le temps d’un geste, on se retient d’ouvrir la porte et de partir. On se rappelle qu’on travaille huit heures, dort huit heures, attend huit heures chaque jour. On surveille l’heure. On est en avance, évidemment. On a le temps de s’asseoir au bord du lit, de sortir des cigarettes, d’en fumer une doucement. On pense aux gestes qu’on fera après pour descendre et aller travailler – en bas, là-bas, d’abord le métro, sous la rue, sous les autres, avec eux. On fume. L’aiguille des minutes tourne.
Ensuite, avant de quitter la pièce, on jette un coup d’œil vers la fenêtre. Avec un peu d’amertume, mais sans jamais trop croire à ce qu’on voit, on vérifie, comme chaque jour, qu’il n’y a rien dehors non plus.