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  • Laurent Mauvignier_Plus sale_Inventaire Invention_2004

    « Ce n’est pas encore le temps des soubresauts ni de cette lutte qui les a portés l’un vers l’autre, qui l’a porté, lui, vers cet autre corps. Mais ce n’est plus le temps de se dire qu’il est vain de chercher à résoudre dans un corps qu’on ne connaît pas ce qui tient dans la tête, l’hallucination qui consume toute paix et travestit les promesses en vertige, tempes et front brûlants, en peur aussi, quand les silhouettes se cherchent dans la nuit, derrière les cigarettes et les pas lents qui tournent sur le gravier, près des hangars et sur les trottoirs des grands boulevards. Il n’est plus temps, puisqu’ils sont là tous les deux, face à face, de se dire que le corps ne délivre pas du désir du corps. Ni de se demander, qu’est-ce qu’il peut, mon corps, quand je vais le charrier dans les draps et sous les ponts, quand je vais le livrer avec l’illusion d’oubli et la peur de la mort si forte qu’aussi forte alors ma solution c’est de m’y jeter, entre les cuisse de celles que leurs maris regardent s’épanouir sous les coups qu’on jette à tour de rôle, s’enfonçant là où d’autres avant ont jeté ce qui les tenait à cran. Ni le temps de se demander jusqu’où pour se trouver il faudrait chercher – jusqu’où, maintenant, entre ces draps, ces deux corps peuvent-ils espérer en finir avec ce qui les tient en otages, cette furie qui les a fait se lever dans la nuit, fumer des cigarettes quelques heures, chercher déjà en fouillant entre les jambes une accalmie qui n’est pas venue et trébucher sur les images de seins, de membres dilatés et de ceux des hommes dans la nuit, qui attendent quelque part, comme les femmes dans les bars et dans les manteaux qu’elles entrouvrent sur les résilles et les rondeurs. Il faut chercher la nuit, le jour. Le secret est là, quelque part, qui tient dans ces corps qui cherchent aussi, sous les lunettes de soleil et dans les laveries automatiques, à la terrasse des cafés, les regards silencieux et les mains bavardes, des figures muettes et des gueules grandes ouvertes qui font tapage de ce qu’il est trop dur de tenir seul dans sa peau. »

     

     

  • Tony Duvert_District_Fata Morgana_1978

    FENÊTRE

     

    Après quelques années, la peinture blanche du plafond est encrassée (radiateurs, tabac). Les murs sont décorés d’objets minables qui, accumulés sans raison, n’attirent pas le regard. Etre assis, être à table, se coucher, autant de corvées, de fatigues que même le sommeil ne répare plus.

    Le sol est usé : les passages, les chutes d’objets, la poussière, les taches, les nettoyages. On met, on retire, on entretient des vêtements qui ne sont ceux de personne. Tout exprime que l’on n’est pas vivant. Une habitation ? Non, un refuge, un coin d’ombre, réduit aux dimensions admises, où l’on est comme un poisson dans son aquarium, dans sa boule de verre tapissée de graviers multicolores, où il tourne cent fois par minute.

    On sort du lit, on est glacé par le matin ; on s’approche, nu, voûté, du meuble où on a déposé les vêtements qu’on porte chaque jour. On ne les regarde pas, on est trop pressé d’être dedans, enfermé, réchauffé, prisonnier.

    Chaussé, cravaté, vaguement lavé pour les parties de peau qu’on laisse découvertes, on se redresse.

    On examine les murs, le plafond, les meubles ; on sent la nullité de tout cela, et on se sait pareil. On n’est plus fait de chair, on n’est qu’une masse douloureuse et lourde qui écrase un vague bâti d’os fragiles. Le temps d’un geste, on se retient d’ouvrir la porte et de partir. On se rappelle qu’on travaille huit heures, dort huit heures, attend huit heures chaque jour. On surveille l’heure. On est en avance, évidemment. On a le temps de s’asseoir au bord du lit, de sortir des cigarettes, d’en fumer une doucement. On pense aux gestes qu’on fera après pour descendre et aller travailler – en bas, là-bas, d’abord le métro, sous la rue, sous les autres, avec eux. On fume. L’aiguille des minutes tourne.

    Ensuite, avant de quitter la pièce, on jette un coup d’œil vers la fenêtre. Avec un peu d’amertume, mais sans jamais trop croire à ce qu’on voit, on vérifie, comme chaque jour, qu’il n’y a rien dehors non plus.